Josette Sadoul : Quand nous allions voir Forrest Ackerman, avec Jacques, il nous disait à chaque fois : « Venez, je vais vous montrer ma cave. » Il y avait, entre autres, un cercueil entrouvert avec une main qui dépassait et éteignait la lumière. Comme il était riche, il rachetait aussi toutes les statues et les costumes des films fantastiques ou de science-fiction et toute la maison était décorée avec ça. Il y avait une atmosphère de mort, dans sa cave, de poussière. Mais ça ne nous dérangeait pas…
Barbara Sadoul : La bibliothèque de mon père est restée en l’état depuis sa mort. Il s’agit d’une ancienne grange reconvertie. Avec une demi-mezzanine. En plus des livres et des pulps, il y a quelques bouquins qui appartenaient à mon grand-père et la collection de papillons de Jacques.
Barbara : La bibliothèque s’est remplie petit à petit, quand mon père a commencé à prévoir sa retraite. Il apportait des caisses entières de livres chaque fois qu’il venait dans le sud-ouest.
Barbara : La collection de Pulps était celle de Georges Gallet. Jacques lui a racheté et a complété ensuite. Quand j’ai fait Le Bal des Loups-Garous pour Denoël, on a essayé de photocopier un Weird Tales, c’est mon père qui l’a fait. Le bouquin a explosé. On ne peut pas les scanner. Ceux qu’ils n’avaient pas, j’y ai eu accès au British Museum où ils étaient plastifiés. Nous étions partis en Angleterre, lui avait rendez-vous avec Barbara Cartland dans son château, parce qu’il la publiait, et nous nous retrouvions le soir.
Barbara : Tous les livres qu’il a écrits sont rassemblés au même endroit, avec les nombreuses traductions.
Barbara : J’ai rencontré des auteurs, grâce à mon père. Harlan Ellison m’a brisé le cœur quand j’étais petite, parce qu’il m’a dit que Robert Conrad, qui jouait James West, était très méchant. J’étais alors très amoureuse de lui.
J’ai aussi rencontré Brian Stableford, lors d’une convention sur les vampires en Écosse. Il avait publié Les Loups-Garous de Londres, chez J’ai Lu. Il était très sympa.
Bruno Terrier : Le joyau de sa collection, à ses yeux, était sans doute l’intégrale de la collection de Weird Tales qui était le premier pulp fantastique. Et il avait une collection complète.
Certains sont dans des reliures faites maison.
Barbara : Il adorait Lovecraft. Il m’en a toujours parlé. Il aimait aussi La Bibliothèque de Babel de Borges. Et Passage Pommeraye, d’André Pieyre de Mandiargue, une nouvelle qu’il aimait particulièrement. On parlait de textes surtout lorsque j’en sélectionnais pour Librio. Je lui demandais celles qu’il aurait choisies, qu’il appréciait. Et il me faisait lire ce qu’il écrivait et vice-versa. Mais il ne savait pas que j’allais lire les bouquins de sa bibliothèque.
Bruno : Jacques avait pas mal de vieux comics, mais juste avant de décéder, il a voulu en vendre, notamment ceux des années 40. Il n’a gardé que les comics de jungle.
Barbara : Jacques se passionnait pour les sujets sur lesquels il avait envie d’écrire. Par exemple, tout ce rayonnage contient des ouvrages de références sur le Mexique. Il y a des marque-pages partout, dans les livres. Il se documentait beaucoup avant d’écrire.
Il y a aussi toute une rangée sur Jeanne d’Arc, parce qu’il se passionnait pour le personnage. Puis après, il passait à autre chose.
Alain Beyneix (historien, ami et voisin de Jacques) : Ici une dédicace d’Eugène Canseliet. Pour tous ses ouvrages de nature historique ou ésotérique, Jacques se documentait énormément. Sur le plan historique, il n’y a pas d’erreur, c’est parfaitement documenté. L’alchimie l’avait beaucoup intéressé et il avait donc rencontré Canseliet. En plus de son intérêt pour le policier et la science-fiction, Jacques a aussi été un grand éditeur d’ésotérisme via la collection l’Aventure Mystérieuse.
Alain : Il a connu Jacques Bergier en lui envoyant un exemplaire de presse de son premier livre, La Passion selon Satan. Puis c’est devenu un ami.
Barbara : Jacques Bergier venait toutes les semaines à la maison, emprunter des livres. Et il les ramenait avec des livres en plus. C’était, en effet, un ami très proche. C’est quelqu’un qui a énormément compté pour lui.
Alain : Une anecdote que m’a raconté Jacques, c’est que Bergier venait lui emprunter toute une collection d’Amazing Stories ou de Weird Tales. Il les lisait puis revenait le mois suivant en lui indiquant quelles nouvelles lui paraissaient intéressantes. Jacques suivait ensuite en général ses conseils pour compiler ses anthologies des « Meilleurs récits de ». Jacques lui avait même proposé de co-signer la direction de la collection, mais Bergier avait refusé. Il n’était pas intéressé et expliquait à Jacques : « Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire, à vous de juger la qualité littéraire. »
Barbara : Quand il écrivait, Jacques était très rapide. Il allait au bout le plus vite possible puis remaniait ensuite. Surtout si c’était un polar, pour que tout se tienne. Une fois arrivé à la fin, il savait ce qu’il fallait rajouter. C’était différent pour les romans historiques. Il avait pris des photos du pays dont il voulait parler et avait donc plus de matière avant.
Barbara : Et il avait cette capacité à écrire vite. Il partait du travail à 17h30 pile, comme pourront le confirmer ceux qui bossaient avec lui, il arrivait à la maison et nous racontait toujours ce qu’il s’était passé de drôle dans la journée, il jouait avec moi une demi-heure et il écrivait pendant une heure. Et il écrivait aussi tous les samedis matin.
Il ne se couchait pas très tard et il lui arrivait donc parfois, lorsque nous dinions chez des amis, parfois même en plein milieu du repas de dire : « Ma fille est fatiguée, nous rentrons. »
Il arrivait ainsi à écrire à peu près un livre par an.
Laurent Queyssi et Ludovic Lamarque tiennent à remercier Josette, Barbara et Bruno pour leur merveilleux accueil et pour le temps qu’ils nous ont accordé. Merci également à Alain et Cynthia Beyneix pour leur disponibilité, leur expertise et leur gentillesse et à Thierry Daniel Vidal pour la photo de Jacques Sadoul en tête d’article.