Philippe Poirier

Philippe Poirier est graphiste, mais son plus grand fait de gloire est sans doute d’avoir redécouvert, avec deux amis, le célèbre publicitaire du début du XXème siècle : Auguste Derrière. Il nous reçoit dans sa maison où s’empilent les livres, les images, les affiches et autres objets de bric et de broc en nous faisant partager sa passion pour les illustrations anciennes et la bande dessinée.

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Dans ce meuble, ce sont les romans fantastiques : la collection Néo, la collection Temps Futurs, des volumes de l’anthologie des pulps que faisait Jacques Sadoul chez J’ai Lu, les « Univers », les Livres d’Or de la science-fiction… mais je ne lis plus trop de romans.

Dernièrement, j’ai beaucoup aimé 22/11/63 de Stephen King. En revanche, j’ai vu le premier épisode de l’adaptation faite en série télé qui ne m’a pas plu… Je ne comprends pas pourquoi les producteurs achètent les droits de quelque chose de bien pour en faire autre chose !

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Là, tout est plus ou moins en vrac. Il y a des livres d’art et d’illustrations plutôt classés par formats. Des vieux recueils d’un superbe magazine anglais de la fin du 19e, début 20e qui s’appelait The Studio et qui traitait de toute l’actualité artistique : design, peinture, sculpture, illustration, architecture… ils éditaient des numéros spéciaux dont je possède quelques exemplaires, sur l’illustration, l’architecture, sur la mise en page de livres, etc.

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Je suis obligé de classer par format, avec des affinités thématiques quand je peux, mais ce n’est pas systématique. Ma collection n’est pas réglée par une obsession que je poursuis jusqu’au bout. Je papillonne. Je prends ce que j’aime, en fait, je ne collectionne pas vraiment. À part peut-être pour le journal Spirou. Je me suis mis à le collectionner il y a quelques années… mais j’ai été obligé d’arrêter parce que j’arrive à des années où les fascicules deviennent bien trop chers. Dans les années 40, c’est au-dessus de mes moyens.

_MG_1891 _MG_1887J’ai aussi quelques planches originales, quelques illustrations, quelques sérigraphies.

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La double page mythique d’Arzach. Ce n’est pas l’original, évidemment. Je serai curieux de savoir quelle taille il fait, d’ailleurs.

_MG_1903Un petit original de Will Eisner côtoie une poupée de Julien Martinez.

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J’ai toujours été impressionné par l’architecture du début 20e, influencée par l’art nouveau et l’art déco. Presque tous les bouquins d’archi que j’ai traitent de cette époque parce que cela fait le lien avec la décoration, l’illustration, les livres, la peinture, la sculpture. Il me semble que l’art était vraiment total en ce temps-là, que tous les champs artistiques étaient liés. La publicité était entièrement illustrée, par exemple.

_MG_1880Auguste Derrière est un publicitaire qui travaille avec l’illustration et j’ai donc regroupé un métier, un goût pour l’humour à base de jeux de mots foireux que j’affectionne et l’illustration « à l’ancienne ». Si je n’avais pas été intéressé par cette époque-là, le concept aurait peut-être pris une tout autre forme.

_MG_1795Là, j’ai tous les gens qui tournent autour de l’illustration américaine des années 70 : Wrightson, Kaluta, Frazetta,… J’ai aussi beaucoup de livres sur le cinéma d’animation, les affiches de cinéma anciennes ou les illustrateurs américains du début 20e.

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J’ai mis des années avant de réussir à mettre la main sur ce storyboard du dessin animé japonais Steamboy. Il était toujours fort cher, mais je suis quand-même parvenu à l’avoir à un prix décent sur Ebay. Tout est de la main d’Otomo, là-dedans. Tout est pensé, découpé, l’action est détaillée, je trouve ça super intéressant.

_MG_1801 _MG_1803Toujours sur Steamboy, voici un artbook sur les décors du film. C’est un travail à l’ancienne, sans image de synthèse. On a le Crystal Palace tout à la gouache, c’est de la folie furieuse ! Pour l’anecdote, Nicolas de Crécy a travaillé sur ce film. C’est un livre assez rare que j’adore.

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Dans le genre rare et puisqu’on parlait de l’exposition universelle de Londres, qui est le terrain de jeu d’Otomo, j’ai trois volumes des catalogues de l’exposition universelle de Paris en 1900, le tout illustré en gravures.

_MG_1807Dans chacun des trois ouvrages, il y a un panorama de l’exposition gravé en vue aérienne. Imagine l’ingéniosité qu’il a fallu à l’illustrateur pour réaliser ces dessins ! Je ne sais pas s’il est monté dans un ballon pour faire ça. Ça reste très beau et très mystérieux.

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Tout le livre est absolument merveilleux, avec des gravures, des photos redessinées. Du grand art.

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Parmi les livres qui me fascinent, il y a aussi les numéros de Noël du magazine L’Illustration. Cet hebdomadaire mondain éditait des numéros spéciaux thématiques, par exemple sur les salons artistiques, l’automobile, les expositions coloniales… mais les plus impressionnants étaient les prestigieux numéros de Noël. Il s’agissait d’exercices de style sur lesquels les imprimeurs mettaient en œuvre toutes sortes de techniques ultra sophistiquées. Je pense qu’on est difficilement capables de faire aussi bien qu’à cette époque-là en terme de raffinement.

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Les illustrations sont des vignettes collées, enrichies avec de l’argent, des ors, des gaufrages, des découpes, des couleurs directes. Il y avait des pages en lithographie, d’autres en gravures… un luxe incroyable ! Il y a souvent des retranscriptions d’œuvres célèbres exécutées en gravures. La crème des grands illustrateurs français, comme Erté ou George Barbier, illustrait des contes.

Au début des années 10, le grand Edmund Dulac a fourni des illustrations pour quatre numéros de Noël. Ce sont vraiment des trésors à mes yeux.

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Au début du 20e siècle, jusqu’aux années 40 / 50, le niveau moyen des illustrateurs dans la presse était très très haut. On s’en rend compte en feuilletant n’importe quel magazine de l’époque. Au-delà des formations classiques, il y avait aussi des personnalités qui ressortaient. Aujourd’hui, la presse est tristouille, il n’y a presque plus d’illustrations, la photo est partout.

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Pourquoi les images sont-elles collées ?

Je pense que c’est pour avoir le texte imprimé en typographie sur la feuille, simplement avec du noir et avoir des images en couleur avec le meilleur rendu possible.

Et ils les collaient comment ?

À la main ! Il y avait des armées de petites manutentionnaires pour ça. Rien n’était mécanisé.

_MG_1842Ici, à droite, c’est le coin de l’âge d’or de l’illustration « pour enfants », c’est-à-dire entre 1890 et 1920-1925. On considère généralement que ça s’est arrêté à la Première Guerre mondiale.

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Voici une édition originale de Peter Pan at Kensington Garden illustrée par Rackham.

_MG_1847Je ne suis absolument pas maniaque de l’aspect extérieur des livres. Ce qui m’intéresse quand j’achète de tels ouvrages, ce sont les illustrations, qu’ils soient bien complets. Dans celui-ci, qui date de 1906, les cinquante illustrations d’Arthur Rackham sont regroupées à la fin et elles sont généralement splendides. Elles sont imprimées en trichromie, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de noir. Il est obtenu par la surimpression des trois couleurs. Le nombre d’illustrations varie d’une édition à l’autre. C’est pour cela qu’il est important d’avoir l’édition originale. Généralement, il y en a de moins en moins. Moi, je veux qu’elles y soient toutes !

_MG_1851A mes yeux, le top du top, c’est Les Mille et une nuits illustré par Edmund Dulac. Là, aussi, c’est une édition originale. En réalité, la seule chose que je collectionne vraiment, ce sont les ouvrages d’Edmund Dulac, cet illustrateur anglais d’origine française, né à Toulouse, anglophile, a émigré très vite en Grande-Bretagne où son style a impressionné les éditeurs de livres illustrés. Ses premiers travaux ont instantanément été des succès et il est devenu le concurrent du prince des illustrateurs : Arthur Rackham. J’ai quasiment tout ce que Dulac a fait en terme de livres.

_MG_1853Comme pour le Rackham, il y a un frontispice en premier et, à la fin, cinquante aquarelles. Celle-ci est une de mes préférées. Elle date de 1905. Le sens du cadrage de Dulac me fascine. Il y a souvent des personnages décentrés, des objets qui sortent du cadre. C’est rafiné et très très bien composé. J’adore.

Quand il a fait ça, il était tout jeune et venait juste d’arriver en Angleterre. Quelle maturité !

 

Outre Rackham et Dulac, le troisième de mes illustrateurs chouchous est William Heath Robinson. Il est issu d’une fratrie de trois illustrateurs et, des trois, a eu la plus longue carrière ; il est mort dans les années 40.

 

Il a commencé par illustrer des contes classiques puis, en parallèle, a développé un style de dessin raffiné, proche de la ligne claire avec un humour non-sensique des plus anglais. Ce sont souvent de petites saynètes très critiques de la société britannique.

Heath Robinson me semble totalement inconnu en France. Il est une star en Angleterre où il est régulièrement réédité, mais reste un illustre inconnu ici. Rackham est apprécié chez nous (une biographie anglaise a même été traduite il y a une dizaine d’années), on trouve du Dulac dans des recueils… mais rien sur lui.

Robinson a même illustré Rabelais sur cette édition en anglais dans un style de gravure ancienne. C’était un vrai caméléon.

_MG_1909Dans cette pièce, il y a surtout des bds Franco-Belge, à quelques exceptions près, plutôt classés par éditeur : les Humanos, Fluide Glacial, Glénat, Delcourt, Dargaud.

_MG_1940J’ai regroupé aussi parfois certains auteurs : tout Franquin, tout Tardi ou tout Hermann. Des séries complètes (ou non), Tintin, la collection Pied Jaloux de Métal, du Glénat historique, des albums d’humour scénarisés par Yann, des Dupuis.

_MG_1915Là-haut, on a des ouvrages un peu plus alternatifs américains : Comics USA, Wrightson et autres. Plus des vieilleries. Par exemple des Placid et Muzo, car j’adore Arnal. Il y a aussi les romans BD Casterman, Forest, Boucq, Pratt, Tardi, Les Cités obscures que j’affectionne particulièrement.

C’est donc la zone bd classique.

_MG_1936La chronologie de l’œuvre d’Hergé. Une lecture passionnante, très très bien écrite. Certaines pages sont en calques et l’on y voit les indications fournies pour la couleur.

_MG_1938J’ai un Tintin dédicacé par Bob de Moor sur Vol 714 pour Sydney. J’ai pas mal d’albums de Tintin en première édition… à rebours,  jusqu’au Temple du Soleil.

J’ai toujours été fan d’Yves Chaland. Ça c’est l’édition de luxe du Testament de Godefroy de Bouillon avec le premier livre classique et un deuxième de bonus génialement réalisés par Yann et Chaland avec des fausses cartes postales, des fausses photos (avec le tampon du journal fictif), la carte de visite de Freddy Lombard, des rapports de police, la note du restaurant avec trois civets de marcassin, le journal l’œil de Bouillon, des cartes d’identité, une lettre de délation et… c’est un régal !

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_MG_1950Le 1000e numéro de Spirou sur lequel Franquin a dessiné 999 Spirou et un Gaston. Derrière, c’est la sérigraphie qui en a été tirée.

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Ici, dans ma chambre, tout est mélangé. Il y a des tas d’albums, des comics américains, des biographies d’auteurs de bd, des magazines… Quand je rentre des livres nouveaux, ils vont ici en vrac et une fois lus, je les classe de façon plus logique.

Tu achètes encore beaucoup de livres tous les mois ?

C’est variable, en fonction des sorties. Mais j’en achète encore, oui. Essentiellement des bd.

_MG_1965 _MG_1966J’ai quelques livres gigantesques de la collection Artist’s Edition. Des planches originales au format. Vraiment magnifiques ! On voit tous les détails, les découpes de trames, les repentirs, etc.

 

La même édition, mais pour le Spirit de Will Eisner.

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La même collection avec le Tarzan de Joe Kubert.

_MG_1971Un original de Claire Wendling, un Renart de Thierry Martin et  un Lautrec de Smudja.

_MG_1978 _MG_1976La monumentale intégrale du Little Nemo de Winsor McCay.

_MG_1979 _MG_1983 _MG_1986J’ai quelques comics américains. Les Swamp Thing de Moore et Bissette, ceux de Wrightson, plein de John Byrne, les Fantastic Four 51, 32…

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Un petit portfolio de portraits de Blueberry que j’ai trouvé à Nantes, dédicacé pour…Philippe ! Je ne pouvais pas ne pas l’acheter, c’est comme si Jean Giraud l’avait fait pour moi !

_MG_1991Quand j’étais enfant, j’avais trois sources de passion au niveau des magazines : Pif Gadget, Spirou et Strange. J’étais adhérent à ces trois écoles. Un de mes premiers chocs esthétiques dans les années 70, ça a été dans Pif, la lecture des deux premiers épisodes de Mystérieuse, matin midi et soir de Jean-Claude Forest. C’était inspiré de l’Ile Mystérieuse de Jules Verne, mais avec un univers fantastique à la Barbarella. D’ailleurs, dans le troisième épisode qui n’est jamais paru dans Pif, il y a une apparition de Barbarella. Ça m’avait scotché, gamin.

_MG_1993 _MG_1996La première bd que j’ai achetée avec mes sous à moi : Les 6 Voyages de Lone Sloane en même temps que le tome 2 de La Rubrique à Brac de Gotlib. Je devais avoir 11 ans. Je faisais des dessins copiés sur Druillet très tôt.

J’ai d’ailleurs croisé Druillet lors d’un salon, l’année dernière. Je dédicaçais juste à côté de lui, hyper impressionné. J’avais emmené mon vieux Lone Sloane d’enfance sur lequel il a fait un dessin. Le même qu’il faisait à tout le monde.

_MG_1992La Rubrique à Brac – Taume 2 avait cette faute qui m’a toujours intrigué… pourquoi personne ne l’avait corrigée !? Ce bouquin je l’ai lu, relu et rerelu avec délectation étant gamin. Heureusement que sa reliure était cousue et pas collée comme les bd de l’époque.

_MG_2011Je me rappelle aussi avoir souvent passé mes vacances sur l’ile d’Oléron, dans une maison familiale où il y avait des centaines de Spirou des années 60 dans une armoire. J’ai passé beaucoup de journées au soleil à lire ces journaux sur la terrasse de la maison. De grands moments de délectation solitaire ! Spirou c’était l’été, mais j’achetais chaque semaine Pif Gadget avec mes petites économies. André Chéret était mon idole, je ne loupais jamais Rahan !

_MG_1999Les Strange sont là-haut.

_MG_2003 _MG_2004J’ai découvert Strange très tôt. Tout gamin, j’ai eu en main l’un des premiers Strange ou Marvel. Ils étaient encore en petit format, avec les bichromies vertes et oranges, et je l’ai redécouvert très tard, genre vers le numéro 60. Ça a été un grand choc et je suis devenu boulimique des super-héros Marvel. J’ai tout racheté en peu d’années, à une époque où c’était encore possible au niveau du prix.

_MG_2007J’adorais Spider-Man par Romita ou les FF de Kirby, mais l’auteur qui m’a le plus marqué de cette époque, je crois que c’est Gil Kane. Il avait une esthétique torturée, exagérée dans ses positions, toujours dynamiques et ça me fascinait totalement. Daredevil par Gene Colan et les X-Men de Neal Adams aussi bien sûr !

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Des livres que tu rêves d’avoir ?

Non, pas vraiment. Des originaux, oui. Mais au niveau livres, ce qui me manque est trouvable. Il n’y a rien qui me fait baver, à part des planches originales. Mais c’est un tout autre univers.

_MG_2015 _MG_2016J’ai aussi des pages de journaux américains. Du Terry et les Pirates, du Little Nemo de McCay, du Popeye de Segar, du Prince Vaillant de Foster. Mais le papier qui date de 1910/1920 s’abîme.

Quelle collection aimerais-tu que nous allions visiter après la tienne ?

Celle, mythique, de Patrick Marcel, celle de David Fournol et celle, inimaginable, de Michel Suffran.

Où t’approvisionnes-tu ?

J’ai beaucoup acheté sur les brocantes, les marchés et surtout chez les libraires, toujours. Quand je me rends compte que j’ai loupé quelque chose de précis ou pour compléter une série, je commande sur internet. J’aimerais bien compléter mes Franquin en originaux, par exemple, mais ça atteint des sommes inaccessibles.

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